Un pavé dans la mare
Œuvrer dans une association ? Y’a qu’à. Mais est-ce si évident ? Savons-nous sur quelles bases devrait fonctionner une association pour être efficace ? La question peut sembler élémentaire : il suffit de se lancer et d’y mettre un peu de bonne volonté. Elle est néanmoins plus ambitieuse qu’il n’y paraît.
Un jour, notre ami Wilfrid, militant que nous n’avons jamais rencontré mais que nous avons au bout du fil une fois par an, nous a demandé de but en blanc : « Comment se fait-il que nous avons raison, et nous le savons, et pourtant tout ça continue ? ». La question nous avait paru pertinente. Nous avons raison d’être révoltés à plus d’un titre. Quotidiennement, une tête de chimère trouve l’occasion de montrer une face nouvelle (gaz de schiste, biologie de synthèse, Fukushima, loi El Khomry …) et quotidiennement, chaque « tête » rencontre nombre de mobilisations contre elle. Globalement et en toute logique aurait dû se produire un renversement décisif. Ce n’est pas le cas. Alors pourquoi ces mobilisations, malgré la légitimité de leur objet, ne suffisent-elles pas à enrayer la dynamique commune qui les alimente jusqu’à l’absurdité, ou au minimum à établir un équilibre des forces ? Les bonnes volontés, les actions pertinentes menées dans les collectifs en tous genres ne manquent pas. Et pourtant « ça continue » et « ça » nous interroge.
Dans les actions que nous autres citoyens menons au sein de structures associatives contre le nucléaire, le néolibéralisme, l’aéroport de Notre-Dame des Landes … il semble qu’il y ait toujours une ligne de démarcation entre nous et l’objet de ces combats, sorte d’entités que nous situons à l’extérieur de notre bon vouloir, hors de notre contrôle, autonomes en quelque sorte (ce qui n’est pas faux, d’un certain point de vue). Et c’est une chose bien naturelle que de considérer que nous n’en sommes ni auteurs ni responsables, puisqu’on n’a pas choisi ces situations absurdes. La logique semble implacable et avancer le contraire suscite rarement l’adhésion car chacun a tendance à se considérer comme un et entier, une conscience maîtresse de ses choix, et par conséquent nous ne saurions vouloir consciemment les injustices et absurdités de ce monde. Mais osons seulement poser le doute : est-ce bien sûr ? Ne pourrions-nous pas être les victimes (collectives) d’un fonctionnement courant, bien que peu d’entre nous soient prêts à admettre son existence, à savoir qu’il se pourrait bien que notre main droite ignore ce que fait notre main gauche ? En d’autres termes, bien que nos systèmes institutionnels soient en faillite des points de vue éthique et de la démocratie, il se pourrait bien que nos structures associatives ne fonctionnent guère mieux. Et bien qu’elles souhaitent et revendiquent plus de démocratie, qu’elles soient rarement en capacité d’appliquer, à leur échelle minuscule et dans la plus totale candeur, des règles de fonctionnement démocratique, pour des raisons de jeux de pouvoir, de concurrence, conflits d’intérêts et autres … qui échappent à nos consciences. Facteur qui mine nos forces au sein des collectifs et fait indirectement la part belle à toutes ces choses pour lesquelles nous voulons consciemment nous mobiliser. Ce constat n’est pas tant le résultat d’une analyse intellectuelle, que le fruit d’une expérience ancrée dans une réalité plus aride que les mots utilisés pour en rendre compte. En bref, il nous semble aussi important de veiller sur notre propre capacité à vivre en cohérence et à la manière dont on s’engage dans une action, qu’à l’action elle-même. Et en tant que membres d’associations (mais c’est valable pour tout collectif, syndicat ou individu) prétendant œuvrer pour le bien de la communauté, d’être encore plus exigeants pour nous-mêmes que pour le camp adverse. Et là, nous n’aurons fait que le tout premier pas d’un engagement non pas « militant » mais en conscience.