LA FIN DU TIMBRE ROUGE, TOUT UN SYMBOLE
(Y a pas marqué La Peste)
La Poste l’a annoncé au creux de l’été 2021 : au 1er janvier 2023, elle supprimera le timbre rouge. Incarnation de la qualité de service, il garantissait la distribution en France métropolitaine d’un pli à « J+1 », soit le lendemain de son expédition. Là où le groupe La Poste annonce une « modernisation » de sa gamme courrier, les postiers de la fédération Sud PTT dénoncent « un recul sans précédent du service public postal ».
De 60 centimes en 2012 à 1,43 euro en 2022, on avait l’habitude de voir le prix du timbre rouge flamber d’année en année. Mais c’est sa suppression pure et simple que La Poste a annoncée pour 2023. Dans un communiqué publié le 21 juillet, l’entreprise prétend vouloir « répondre aux nouveaux usages des clients », arguant « que les ménages envoyaient 45 lettres prioritaires par an en 2010 » contre « seulement cinq en 2021 ». Une désaffection du timbre rouge organisée par La Poste elle-même depuis une dizaine d’années, selon Eddy Talbot de Sud PTT : « La direction a forcé la vente du timbre vert tout en refusant de distribuer des timbres rouges dans certains bureaux de tabac, librairies ou automates. »
On nous l’avait vendue comme plus écolo, car ne prenant pas l’avion. Petit à petit, la lettre verte lancée en 2011 a absorbé le trafic de la lettre rouge. De 57 centimes à l’époque, son prix s’élève aujourd’hui à 1,16 euro. S’il n’augmentera pas en 2023, son délai d’acheminement, lui, sera rallongé, passant à « J+3 » – contre « J+2 » actuellement. Alors que La Poste investit à fond dans le colis à l’international, promettant des livraisons toujours plus rapides aux adeptes du commerce en ligne, la distribution en trois jours devient donc le nouveau délai standard d’acheminement du courrier. Pas de concurrence, pas d’urgence...
FRACTURE NUMÉRIQUE ET SOCIALE
En cas de besoin impératif de transmettre un document en « J+1 », plus que deux options : jeûner pendant trois jours pour pouvoir se payer un Chronopost à 14,90 euros, ou se rabattre sur la « e-lettre » rouge. Scannée ou directement rédigée sur le site internet de La Poste, celle-ci est imprimée dans un centre de tri près de son lieu de distribution, mise sous pli par un postier et distribuée le lendemain de son envoi. Un e-mail imprimé, en somme, au prix de 1,49 euros, soit six centimes plus cher qu’une lettre rouge classique. À ceci près que la e-lettre ne s’envoie pas en un clic, mais nécessite de remplir plus d’une dizaine de pages web. Un véritable parcours du e-combattant. De quoi aggraver la fracture numérique, avec un service dont la pertinence paraît discutable.
Aux éloignés des échanges dématérialisés, La Poste propose d’envoyer leur e-lettre rouge depuis un bureau de poste, « sur un automate ou avec l’aide d’un conseiller équipé de son “Smartéor” 1. Encore leur faudra-t-il trouver un bureau de poste ouvert… ou un bureau de poste tout court. Sur les 17 000 points de contact que s’engage à maintenir le groupe au titre de sa mission d’aménagement du territoire, le nombre de bureaux de poste dits « de plein exercice » est passé de 10 700 à 7 000 en dix ans. Remplacés par des points relais chez des commerçants, des agences communales ou des Maisons de services au public, ces points de contact proposent des services postaux restreints, quand leur personnel, non assermenté, manque bien souvent de formation.
Autre problème de la e-lettre : sa remise en cause de la confidentialité du pli, à laquelle semblent tenir les usagers de La Poste d’après les commentaires des signataires de la pétition en ligne lancée par Sud PTT. « Les employés n’ont pas à connaître le contenu strictement personnel d’une lettre. Ils ne sont ni des curés ni des médecins. C’est une grave atteinte à la vie privée ! » fustige l’un d’eux. À travers cette pétition intitulée « On se bouge pour le timbre rouge », ayant déjà recueilli plus de 25 000 signatures, Sud PTT réclame purement et simplement « le gel » du projet. D’autant que pour les syndicalistes, la fin de la lettre prioritaire « met aussi en péril le concept même de courrier physique avec ses conséquences sur la transmission du savoir, de la culture et des correspondances de tous ordres ». Plus qu’à une fracture numérique, c’est à une fracture sociale que participe la disparition de cette fine pièce de papier dentelé qui fait partie de notre culture commune depuis plus de 170 ans 2.
L’ARGUMENT ÉCOLO
À La Poste, qui s’érige en « fer de lance de la transition écologique », on se soucie « d’améliorer son empreinte carbone ». « Le transport rapide incluant parfois un trajet en avion », le bilan énergétique de la lettre prioritaire est « très lourd », concède le groupe, clamant qu’il économisera 60 000 tonnes de CO₂ par an en la supprimant. Du vent : « La majorité des émissions vient du choix du tout-routier et de la sous-traitance exacerbée », raille le syndicat Sud PTT dans une brochure de 15 pages, ajoutant que « les 60 000 tonnes d’émissions de CO₂ censées être économisées via la suppression du J+1 ne représenteraient que 2,8 % des 2,12 millions de tonnes équivalent carbone émises par les transports du groupe en 2021 ». Si les lettres prioritaires se font si rares, pourquoi ne peuvent-elles voyager avec les colis qui continuent allègrement de dépenser du kérosène ?
ALLÔ L’ÉTAT, BOBO
Depuis le changement de statut de La Poste en 2010, devenue Société anonyme à capitaux publics, ses dirigeants n’ont qu’une obsession : la rentabilité de l’entreprise. C’est dire si l’intitulé de son plan stratégique, « La Poste 2030, engagée pour vous », sonne creux, tant l’entreprise semble traîner ses missions de service public comme un boulet. Au micro de France Inter en février 2021, Philippe Wahl, PDG du groupe, mettait la lettre prioritaire sur la sellette : « Est-il encore utile de garder une lettre rouge, alors qu’on a tout ce qu’il faut comme moyens d’urgence de communication ? » Il appelait alors de ses vœux un geste de l’État-actionnaire : « Nous demandons à ce que l’État compense les contraintes des missions de service public qu’il met à notre charge ». Quelques mois plus tard, Jean Castex octroyait à La Poste une subvention de 500 à 520 millions d’euros par an au titre du service universel postal, déficitaire d’1,1 milliard d’euros. Et c’est ce moment que la direction a choisi pour asséner un coup fatal au service public postal : ralentir ses délais d’acheminement du courrier, sans pour autant baisser ses tarifs.
UN PLAN SOCIAL DÉGUISÉ
Eddy Talbot est formel : « Le but, c’est de supprimer de l’emploi » pour dégager des profits. « Augmenter les délais du courrier permet de diminuer les effectifs nécessaires à la distribution et dans les brigades de nuit des centres de tri. Aujourd’hui la norme c’est J+1, J+2, demain J+3. La future norme, ce sera J+4. » La Poste l’assure : « La distribution du courrier, ainsi que la distribution de la presse, des colis et les prestations de services de proximité continueront à être assurées 6 jours sur 7. » Mais pour le syndicat Sud PTT, la suppression du timbre rouge signe la fin du passage quotidien du facteur. Car tant qu’un client ne sera pas destinataire d’un courrier urgent, le facteur attendra la date limite de distribution de ses autres plis pour s’arrêter. Déjà pratiquée dans certains établissements de La Poste, la « distribution pilotée » permet de desservir certains quartiers seulement un jour sur deux.
« Le but, c’est de supprimer de l’emploi »
Tous les deux ans, La Poste réorganise le travail de ses facteurs, supprimant des tournées au rythme des départs à la retraite et des démissions non remplacées, et rallongeant les tournées restantes. Une charge de travail supplémentaire pour les agents pressurisés par des cadences de distribution infernales. Alors que le groupe a déjà amputé sa branche courrier-colis de 25 000 postes entre 2017 et 2021, la fédération Sud PTT évalue à 20 000 le nombre d’emplois menacés par la nouvelle gamme courrier.
Avec cette mesure, La Poste espère, au passage, économiser 120 millions d’euros. Une aubaine pour le groupe, dont on imagine aisément la tourmente au regard de ses résultats en 2021 : plus de 34 milliards de chiffre d’affaires, un bénéfice net historique de 2,1 milliards d’euros, 724 millions d’euros de dividendes versés à ses actionnaires, la Caisse des dépôts et l’État, en 2022. De l’institution publique à la machine à cash, ça paye le broyage de l’intérêt général.
Lily La Fronde